Whatever works : apprentissage du cynisme

Ce film m’a beaucoup plu, au point que j’ai esquissé quelques applaudissements à la fin. J’ai lu que beaucoup l’ont fait de façon plus franche dans d’autres salles, mais la mienne était un peu timide.

J’y ai reconnu d’abord le cynique contemporain, comme j’en côtoie tant, et dans lequel je me reconnais parfois, toujours soucieux de montrer la réalité telle qu’elle est, y compris et surtout dans ses travers, assuré qu’il est d’une vision globale du monde : ceci est une utopie, ceci est un cliché, une idéologie, une illusion, une chimère. Religion, amour, science, bonheur, rien n’échappe à sa critique, souvent salutaire. Prenez du recul, du champ, et les choses vous apparaitront différentes, souvent sans but, privées de sens.

Les cyniques contemporains ne sont bien sûr souvent que les ombres de Diogène, pour qui l’enjeu était bien de devenir un homme, de sortir de la condition d’esclave, en méprisant l’opinion commune, en se montrant sans crainte à l’égard de qui et de quoi que ce soit, au point de susciter la jalousie d’Alexandre lui-même.

Comme a dit Nietsche lui-même : « en présence de n’importe quel cynisme, qu’il soit grossier ou subtil, l’home supérieur devra tendre l’oreille et se tenir heureux chaque fois que le bouffon san svergogne et le satyre scientifique se manifestent à haute voix ».

Le fait est que malgré ses colères, ses emportements, notre homme ne cesse d’attirer les regards, y compris celui d’une jeune fille qui cherche à sortir de la condition où sa mère l’enferme.

Cette jeune fille ne le fait pas vraiment dévier de cette posture. Il la prend dans son tonneau, sans modifier vraiment sa vie relativement ascétique, au point qu’on a du mal à y croire, mais peu importe. On se rappelle que les cyniques méprisent le plaisir, ou du moins ne le poursuivent pas en tant que tel. La sexualité doit être satisfaite a minima. Il continue à prôner l’autarcie.

Pourtant les multiples évènements qui accompagnent l’intrusion de la jeune fille dans sa vie l’amènent à approfondir ses contradictions : tous autour de lui semblent trouver un équilibre inespéré, en rompant avec une vie conventionnelle, mais d’une autre façon que lui, sans cette souffrance, et cette peur qu’il tente de conjurer par des pratiques superstitieuses.  A quoi bon continuer cet effort qui le mine, il se jette à nouveau par la fenêtre.

Et au bout de son deuxième échec à quitter cette vie, il finit par accepter l’amour de quelqu’un qu’il a failli tuer. Il ne semble pas avoir renoncé à son esprit critique, à l’exercice de la vision globale, mais par une sorte de révélation, ou au prix d’une forme de mort à lui-même, en a peut-être touché les limites, concernant sa propre existence. Peut-être a-t-il atteint le vrai cynisme, celui qui débouche sur la sagesse, faite de simplicité, de calme, de réconciliation avec soi-même, d’humanité.

Mais bien sûr, si tout cela ne vous a pas convaincus, allez lire la belle critique de Véranne sur l’escabelle :

2 réflexions sur « Whatever works : apprentissage du cynisme »

  1. Cette référence philosophique m’apporte une ouverture pour « rentrer » dans le film. J’étais passée à côté, je dois dire, précisément à cause du héros que tu éclaires de manière très intéressante.
    Peur et souffrance, oui, en effet: cela expliquerait bien les tentatives de suicide. Toute l’analyse psychologique est vraiment convaincante.
    Il me faudrait une icône « je hoche la tête » !

  2. De retour du cinéma. La qualification de cynique que tu utilises pour parler du héros me semble très juste.
    Sa rage a dénoncer le caractère conventionnel des actions des autres, ses excès de langage (son franc parler diraient certains!) en font un personnage à la fois détestable car intolérant et attachant car impertinent.
    Peu importe la manière, les moyens, le respect des conventions, des règles de morales … du moment que ça marche nous dit-il ! oui mais « ça marche » qu’est-ce que ça veut dire ? que ça répond à mes besoins, à mes intérêts, à mes désirs … d’ailleurs tout ça signifie peut être la même chose ? Dans la vie doit-on agir pour que « ça marche »? Qu’est-ce qui se cache t-il derrière ces mots ?

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