Politique … et tragédie

Un article du Monde de dimanche m’a laissé pensif. Il retrace (en page 3) la triste histoire du Sergent Russel, et de son coup de folie, l’amenant à tuer ses camarades. L’article insiste sur les traumatismes causés par la guerre en Irak, la pression psychologique de l’encadrement. On ne peut pas dire qu’il s’appuie sur la moindre preuve, extrapolant à partir de propos du père du meurtrier, mais enfin, on veut bien le croire.

Le journaliste ne s’arrête pas en si bon chemin. Il passe à un degré supérieur de généralisation, en évoquant maintenant l’Amérique qui s’interroge, et entre dans le temps du doute et du malaise. Comme si ça ne suffisait pas, analyse ce curieux correspondant du Monde à New-York, l’Amérique, désorientée, en vient maintenant à la « troisième phase : celle du rejet et de la honte ». Il faudrait citer en entier son dernier paragraphe.

« Tout ça pour ça ? Pour arriver, six ans plus tard, à ce soldat
rendu fou par cette guerre maudite et qui tue des personnels
soignants et ses frères d’arme confrontés aux mêmes angoisses que
lui. Un fait divers désolant et cruel comme aboutissement d’une
incompréhensible erreur collective. Quant à la honte, elle est liée
à la vacuité du sens
… Le père de Bueno Galdos [une des victimes]
a déclaré : « Je n’ai pas de respect pour la manière dont il est
mort. Il n’est pas mort au combat. » [….] A moins d’être
psychologiquement déficients, faut-il qu’un père et une mère
souffrent pour en arriver à proférer de tels propos !
Jeudi, Barak
Obama s’est dit « choqué et attristé par cette horrible tragédie » »

« A moins d’être psychologiquement déficients … » !!! Je n’arrive pas à voir en quoi les propos des parents des soldats, qui auraient préféré voir leur fils mourir au combat, plutôt que tué par un camarade, sont l’indice d’une déficience psychologique. Cela me parait au contraire assez naturel. La guerre en Irak s’est révélée une grave erreur politique, ne réussissant à résoudre une contradiction qu’en en développant d’autres, et son bilan est loin d’être positif, c’est entendu pour moi, mais est-ce une raison pour qu’elle devienne tout-à-coup maudite, et ne puisse plus être qualifiée qu’en termes psychologiques ? Un américain père de soldat, ne peut-il conserver un point de vue politique sur cette guerre, et sur l’implication de son fils ? La politique semble s’être dissoute dans la tragédie … avant peut-être, de redevenir comédie ?

3 réflexions sur « Politique … et tragédie »

  1. Effectivement le journaliste s’est peut-être un peu laissé aller…! La remarque du père de Bueno Galdes (si elle est correctement rapportée) montre sans doute en partie comment les familles gèrent les risques encourus par leurs enfants soldats. Il faut peut-être qu’ils adhèrent un tant soit peu à l’idéologie militaire pour ne pas vivre dans le désespoir à l’idée que leur fils est soldat dans une guerre. Et autant ils sont préparés à une mort au combat avec les honneurs de la guerre, autant une mort aussi stupide doit-elle être vécue comme une insulte.
    Sur le même thème, Michael Moore s’intéresse au vécu des familles dans Fahrenheit 9/11, un peu long voire complaisant sur la douleur des parents, mais très instructif.

  2. J’avais aussi lu cet article et buté sur la même phrase. Ce qui me froisse, c’est que sur un tel sujet, la douleur de perdre un fils et la manière dont elle s’exprime, le journaliste se permette de porter un jugement. Il n’y a pas que dans les familles de militaires que « mort pour » aide davantage à faire le deuil que « mort pour rien ». Dans les propos de ce père, on sent jaillir la révolte face à un faisceau de circonstances capables de plonger un soldat dans une névrose où personne ne l’aide. Mais ça s’est déjà vu, malheureusement.

  3. Je me demande si cela ne va pas plus loin qu’un simple dérapage de journaliste.

    Je lis dans un livre d’Emmanuel Todd, quelqu’un que je connais et respecte, et apprécie souvent :
    « L’attachement au dogme d’une petite caste de dominants, financiers ou intellectuels, a désormais le caractère d’une foi étrange, substitut de croyance religieuse ou maladie mentale, on ne sait trop. Tant d’aveuglement, d’indifférence au sort des masses, tant d’incapacité à réfléchir sur des faits évidents, implique en effet que l’on introduise dans la réflexion des notions d’ordre religieux ou psychiatrique. Faut-il expliquer cette obstination à ne pas vouloir le bien par le péché originel, qui contraindrait l’homme au mal ? Ou devons-nous plutôt diagnostiquer l’apparition d’une pathologie psychique nouvelle, d’un mécanisme de déréalisation associé, chez certains, à l’excès d’argent, dans un contexte de narcissisation (sic) généralisé des personnalités et des comportements ? … »
    « Après la démocratie »

    Si c’est une maladie mentale, me dis-je, quelques cachets devraient pouvoir nous en débarrasser, non ?

Laisser un commentaire