Symbolisme de la lune

René Daval, professeur de philosophie à l’université de Reims, a publié il y a quelques années deux articles [1] et [2] sur le symbolisme de la lune, s’appuyant sur les analyses de Jung à ce propos. Ces deux articles constituent une approche concrète passionnante de la pensée de Jung, et par ailleurs dévoilent des phénomènes qui restaient pour moi un peu mystérieux.

En Grèce, la pleine lune (πανσέληνος) est toujours l’occasion de manifestations collectives très populaires, en particulier au cœur de l’été, autour du 15 août. Des foules se rassemblent auprès des anciens temples, à Athènes ou au Cap Sounion. Des événements sont organisés dans les musées ou dans les salles de spectacle. Et tout le monde se souhaite une « bonne pleine lune ». Les terrasses des cafés ou des tavernes sont bondées, et c’est la fête. Mais que fête-t-on ? Les réponses sont en général laconiques et tournent souvent autour de l’idée de « la beauté de la nuit où il fait presque jour, le contraste rare du disque lumineux sur son fond noir, où même les étoiles ont perdu leur éclat ».  Les deux articles cités permettent peut-être d’aller plus loin, grâce à la notion d’archétype de Jung. La lune, dont on fait trop souvent un symbole exclusivement féminin, est le symbole de la force de l’inconscient, et son cycle lumineux en exprime bien le mystère. Le soleil est associé à la pensée d’entendement, qui analyse les phénomènes en pleine lumière, tandis que la lune exprime plutôt le cycle de génération et de mort de l’esprit lui-même, qui n’est pas qu’entendement. La pleine lune n’est pas l’annonce du soleil, mais plutôt l’annonce d’une réconciliation possible des différents stades de la psyché, moi, conscient, inconscient, inconscient collectif, inconscient archaïque, réconciliation que Jung appelle aussi naissance du Soi, processus d’individuation.

Un autre phénomène m’intrigue depuis longtemps, c’est l’attrait de la nuit chez les jeunes. Aujourd’hui j’en souffre un peu aujourd’hui car cela signifie des bandes bruyantes sous mes fenêtres à un moment où j’aspire au calme, mais je n’ai pas oublié cet attrait qui me poussait moi-même à prolonger les discussions ou simplement la proximité silencieuse avec les amis au cœur de la nuit, sous l’éclat changeant de la lune. René Daval, après Jung, a raison de souligner qu’il y a dans ce phénomène un mélange d’attirance et de peur. Il l’associe à une composante de la psychologie masculine, qui reflète la conscience de forces que le jeune homme sent en lui mais ne sait pas dominer, qu’il oublie dans l’activité diurne, mais qui se rappellent à lui dès que la nuit tombe et que la lune parait. Je ne sais pas si c’est un trait spécifique de la psychologie masculine, et s’il faut y voir une peur de sa part « féminine ». L’idée développée dans une section de l’article selon laquelle nous sommes partagés entre une activité de maîtrise de notre relation avec l’univers, le jour, et un sentiment passif d’appartenance à cet univers, de dissolution de notre individualité, me paraît tout aussi intéressante. Le cycle de la lune illustre bien cette dualité qui constitue notre être au monde.

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